[Rue 167]. Internet et les « générations connectées » au Sénégal
Si l’usage de l’Internet au Sénégal semble se réduire à naviguer sur les réseaux sociaux, c’est ce qu’on offre à la masse, la définition de la politique gouvernementale semble se réduire à la traque des malfaiteurs. C’est ce qui ressorte des différents discours publics où l’on met en avant et à souhait la cybercriminalité.
Comme une obsession, comme pour faire face à un monstre à multiples têtes, il faut réprimer, traquer, le discours guerrier quoi. Internet crée aujourd’hui de la tension entre les usagers et les gouvernants et la source se trouve ailleurs. Mais réglons déjà la question sémantique, Internet c’est quoi finalement?
Selon Wikipedia, Internet est le « réseau informatique mondial accessible au public. C’est un réseau de réseaux, à commutation de paquets, sans centre névralgique, composé de millions de réseaux aussi bien publics que privés, universitaires, commerciaux et gouvernementaux, eux-mêmes regroupés en réseaux autonomes (il y en avait 47 000 en 2014).
L’information y est transmise grâce à un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données, qui permet des applications variées comme le courrier électronique, la messagerie instantanée, le pair-à-pair et le World Wide Web. Internet ayant été popularisé par l’apparition du World Wide Web, les deux sont parfois confondus par le public non averti ». Prêtez attention aux guillemets, c’est du wiki.
Il existe donc un public averti et un autre qui ne l’est sans doute pas. Comme pour toute chose, à la différence qu’Internet… Bon j’ai pas encore dit bonjour.
Salam Wa Mbedmi,
Depuis quelques temps, j’écris sur la thématique d’Internet avec différentes approches mais toujours du point de vue de l’usager. Je ne suis pas un spécialiste des technologies mais j’ai conscience que cette chose va prendre une place dans ma vie. Il y est d’ailleurs déjà et au rythme où les changements se produisent, je n’en aurais bientôt plus que pour Internet.
Des effets de ce réseau, l’on constate une forte tendance vers l’individualisme et une « perte de pouvoir » des institutions. A mon sens, nous sommes à un tournant décisif dans la configuration de notre environnement social et politique. Et nul doute qu’Internet y jouera un rôle incontournable parce que l’outil sait s’imposer. On a aujourd’hui affaire à un acteur dont aucun réalisateur ni aucun scénario ne semble avoir la maîtrise.
Le Professeur de droit Abdallah Cissé distinguait dans notre société trois catégories d’acteurs: les déconnectées, les hypo connectées et les hyper connectés de l’Internet. Il était l’invité du réseau des blogueurs du Sénégal à un panel sur la gouvernance d’Internet. L’essentiel de ce qui est juste dans ce billet découle de son intervention.
Chacun de nous a sa petite idée de cette classification et s’est instinctivement rangé dans un groupe. N’hésitez pas à nous dire, cela pourra affiner l’analyse. Un autre point qui m’a semblé important dans son analyse a été un message: le partage. Partager ce qu’on sait avec d’autres parce qu’ils en apprendront et passeront le message. N’est-ce pas la philosophie d’Internet?
Reprenons le volant. Hypo vient du grec et signifie « inférieur » ou « en dessous », en opposition à hyper qui veut dire « supérieur » ou « au dessus ». Analysons maintenant notre niveau de « branchement » et ce que cela implique. Dans un autre monde, on appelait branchés ceux qui savaient (se comporter), manam gni nek si c bi 🙂
A quelle génération êtes-vous connectée ?
Je pars de l’idée, plutôt de l’affirmation selon laquelle tous seront impactés par l’évolution technologique, sans que notre consentement soit requis et même contre notre volonté. La différence viendra de notre attitude notamment notre niveau de préparation face à cette vague. Dans la masse des usagers, je me considère comme un utilisateur avancé, un concept qui fait chic. Les concepts font bon genre dans l’univers du numérique, plus c’est compliqué, plus c’est indéchiffrable, plus on semble vous prendre au sérieux. Reprenons le volant.
Nous avons un premier groupe de personnes « débranchées ». Les membres de ce groupe sont un peu comme ma daronne dont l’univers de la connectivité se résume à l’usage d’un mobile. Et pas n’importe lequel sakh parce qu’elle utilise un téléphone à touches. Quand j’ai montré à ma fille ce que c’était, elle m’a dit « xaw ma li lane leu dé ». Quand je lui dit que c’était un téléphone elle m’a jeté un coup d’oeil SYFY 🙂 la chaîne science fiction.
Le second est composé de ceux qui ont accès à la technologie ou la capacités de l’utiliser. Ces hypo connectés ont un usage basique d’Internet et leur « exploit » se limite à l’envoi/la réception d’emails. Ils sont aussi très usagers de WhatsApp surtout qu’il faut appuyer sur un bouton pour parler et un autre pour envoyer. D’autres peuvent s’aventurer un peu plus loin en rejoignant les réseaux sociaux mais sans y faire grand chose. Ils y seront plus pour observer comme avec votre Iphone X que vous venez d’acquérir et que vous avez peur de gâter. Le plus souvent ils te diront « Internet damako ragal » sans trop pouvoir te dire pourquoi.
Vous trouverez dans le dernier groupe les influenceurs, les blogueurs, les journalistes citoyens ou tous ces néo statuts qui sont apparus grâce au net. Ils sont à fond sur tout et présents partout. Férus du net ou Internet Addict, ils n’envisagent pas d’évoluer dans un environnement déconnecté. Ils sont moins nombreux que les autres groupes mais détiendront un outil de pouvoir. Parole de Web Evangelist 🙂
Mais qu’est-ce que tout cela induit ?
Conflits de générations
Si on scrute la composition des groupes, d’autres éléments ressortent plus ou moins clairement. On pourrait par exemple considérer que les jeunes sont dans le 3e groupe, hyper connectés. Les seniors se retrouveront plus dans le lot des hypo connectés et les déconnectés sont d’un âge plus avancé. Je simplifie parce qu’on trouvera tous les âges dans tous les groupes. J’introduis pour le moment, attendez les développements.
J’évoquais plus haut la question du pouvoir parce que finalement l’enjeu autour de la bataille d’Internet, c’est le pouvoir. Aujourd’hui que nous sommes au tout début de la remise en cause, les différents acteurs résistent. Lorsque vous prêtez attention au discours des autorités publiques, un mot revient sans cesse la cybercriminalité. Parce que dans leur perspective, Internet est le nouveau repaire des délinquants sans plus et donc tout l’armada répressif doit y être déployé. Dakar va aujourd’hui inaugurer son école de cybertraqueurs.
Reprenons le volant. Je mentionnais plus haut que les hypo connectés et les déconnectés avaient le pouvoir. Ce sont eux que nous trouvons à la Présidence, à l’Assemblée nationale, dans les tribunaux, etc. Ils ont une peur bleue de l’Internet et ont la charge de définir le cadre qui organise l’activité des groupes. Cependant, ceux qui pensent être impacté par ces politiques, veulent être associé à sa définition. C’est un peu ce qui justifie clash qu’on vit en ce moment autour du code des télécommunications électroniques.
En réalité, il s’agit d’une vaine tentative de reprendre les choses en main sauf qu’Internet ne réagit pas aux codes de gestion d’un Etat classique et le Pr Cissé disait à juste titre qu’Internet a changé le changement. Seulement, dans ce rapport de force, ils n’ont ni le nombre ni le pouvoir pour s’imposer. Il faut alors négocier. En tous les cas, les hyper connectés doivent entrer dans une démarche de sensibilisation afin de rassurer les autres groupes.
Ce n’est que dans cet environnement de travail collaboratif qu’on se rendra compte que le cyber peut être pertinent pour la santé, l’éducation, l’environnement et la gestion du pouvoir.
Alaadji Abdulaay Sekk
Kéneu si wambedmi